La RSE est devenue une case à cocher pour bon nombre d’entreprises. Surtout une réelle attente consommateur. Comment prendre le sujet à bras le corps et communiquer correctement ?
Quand les états jouent aux abonnés absents, citoyen•nnes et entreprises prennent leur responsabilité en main pour construire un monde meilleur. Comment communiquer sur ces sujets sans pour autant passer pour une entreprise opportuniste ? Quels sont les supports de communication les plus adaptés ? J’en parle avec Cécile Maury, planneuse stratégique freelance et membre du réseau la bise.
Par Julie Arnaud
Publié le 02/12/2022
Julie : Notre échange tombe à pic car nous venons de dépolluer et labelliser notre site internet. Je trouve que c’est un exemple concret d’action RSE que l’on souhaiterait proposer à nos clients. Quel est ton point de vue là-dessus ?
Cécile : Je trouve que c’est une action qui permet d’affirmer une vérité : on constate qu’un site pollue car certains éléments de contenus engendrent une surconsommation énergétique que l’on peut mesurer grâce à un audit et un score. Ce que je trouve intéressant c’est que l'on fait un constat qui permet de prendre en compte la réalité des choses pour ensuite agir.
Cela me fait penser à un article que j’ai vu passer dans Le Monde intitulé “Faut-il déclarer qu’il n’est plus possible de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C?”, sous-entendu on ne va pas y arriver mais est-ce qu’il faut dire la vérité ? Ça c’est un point super intéressant car il y a une vraie dissonance cognitive entre ce qu’on lit comme les rapports du GIEC et ce que l’on fait nous-mêmes ou ce que l’on voit faire autour de soi.
Ces 5 dernières années, beaucoup d'entreprises ont perçu leur engagement RSE comme une case à cocher et c’est ce qui fait qu’il y encore beaucoup de simples déclarations VS actions à impact. C’est ce qui peut faire basculer dans le greenwashing.
« Le greenwashing, c’est le maquillage de la réalité et de la vérité. »
On a d’ailleurs vu passer quelques publicités parodiques et humoristiques qui critiquent les discours qui font du greenwashing. C’est un moyen intelligent de s’en prémunir pour rassurer les consommateurs. Je pense par exemple à la publicité de Synadis Bio, un collectif de marques engagées par nature, qui affirme : “Pour certains, le bio c’est juste une étiquette. Pour nous, c’est une éthique”. Voilà qui est bien dit !
Il y a une vraie défiance vis-à-vis des marques qui se disent engagées parce qu’il est facile de faire une belle communication avec des images et musiques inspirantes et de faire croire que l’on a pris un virage alors que dans le fond pas vraiment. C’est ce que dit très bien cette publicité parodique de Chevron “We don’t give a fuck about you”.
Julie : Et en même temps, toute cette dynamique a aussi permis l'émergence d’actions et de performances louables. Lesquelles ont retenu ton attention ?
Cécile : Je trouve que l’on voit un vrai besoin de transparence se manifester du côté des citoyens qui commencent à porter plainte contre des entreprises qui ont des pratiques illicites pour la santé humaine et la planète (voir les cas H&M et Monsanto).
On voit aussi de nombreux collectifs anti-greenwashing se mobiliser contre des discours mensongers ou incohérents. Je pense notamment au cas Air France qui a proposé un système de compensation de ses vols par des arbres à planter pour déculpabiliser ses clients. La pétition lancée par ce collectif a permis à Air France de retirer ce système compensatoire visant à faire croire que l’on peut effacer son empreinte carbone grâce à des arbres, ce qui est faux.
Les états aussi commencent à interdire certaines pubs comme celle de la HSBC ou Persil parce que jugées trop floues sur leurs engagements.
On commence à prendre en compte le fait que l’on a besoin de chiffrer et de commencer à prouver que ses engagements RSE ont un impact social ou environnemental.
D’ailleurs en France à partir de janvier 2023, on ne pourra plus parler de neutralité carbone ou faire des allégations ouvertes sans pouvoir le prouver. Tous les annonceurs devront s’engager à publier un bilan annuel public de leurs émissions de CO2 avec un rapport de synthèse décrivant leur empreinte carbone et la démarche alléguant ou compensant leurs émissions. En cas de manquement, les sanctions sont lourdes : amendes de 100 000€ pour les personnes morales (entreprises) et 20 000€ pour les personnes physiques.
« Je trouve que l’on arrive à un vrai tournant sur la réception des discours RSE. Il faut absolument que les entreprises s’expriment et qu’elles le fassent d’une manière beaucoup plus concrète. »
Surtout que le contexte géopolitique avec la guerre en Ukraine et la crise énergétique ne fait que renforcer ce côté radical quand on parle de sobriété énergétique : on est au pied du mur, donc qu’est-ce que l’on fait maintenant, concrètement, pour s’en sortir ?
Les actions réelles comme celle des supermarchés Leclerc qui réduisent leur éclairage pendant les heures d'ouverture pour limiter la consommation d'électricité ont par exemple un caractère beaucoup plus réel et concret qu’une lessive qui vante ses qualités écologiques sur son packaging.
Julie : Ça me fait penser justement à la checklist anti-greenwashing de Goodeed, un acteur engagé dans la publicité solidaire, pour communiquer de façon vraiment responsable. Ils évoquent l’honnêteté, le discours de preuves, le message véhiculé, la charte éthique. Selon toi, quelles sont les autres cases à cocher ?
Cécile : Je pense qu’il est important d’agir avant de dire. Ce fut le cas récemment avec Yvon Chouinard, l’ancien PDG de Patagonia, qui a décidé de transférer 100% de ses parts à des associations qui luttent contre le réchauffement climatique. Cela a été annoncé en grandes pompes dans les médias par la suite.
Il ne faut pas pour autant tomber dans le “greenhushing” en taisant complètement ses efforts écologiques par peur ou par méconnaissance. Ce qui arrive souvent lorsque des entreprises se font épingler publiquement sur LinkedIn ou ailleurs par des médias et collectifs engagés pour le climat.
L’idée c’est vraiment l’ordre des choses : on ne met pas la charrue avant les bœufs, on fait d’abord ce qu’on peut à son échelle, et après on en parle.
Julie : Oui la notion de temporalité et de timing est super importante en fait. J’ai un client qui a communiqué trop tôt sur l’impact du retrait du plastique dans ses produits car il ne s’était pas encore laissé le temps de le mesurer pour le prouver. Ça a entraîné un badbuzz sur LinkedIn et l’ADEME s’est d’ailleurs montrée super disponible derrière pour conseiller et éduquer le client.
Cécile : Oui, le timing est clé en effet. Et l’ADEME a aussi publié un guide anti-greenwashing très bien conçu qui fournit un outil d’auto-diagnostic pour savoir si l’on fait ou non du greenwashing en communication. C’est super pratique et accessible à tous !
Ce qui est bien aussi c’est d’encourager de nouvelles pratiques de consommation comme la seconde main ou le slow shopping.
« Ce qui est intéressant c’est de voir comment une entreprise peut encourager à acheter moins ses produits. Alors que depuis les débuts de la publicité elle encourage à faire l’inverse ! »
Renault a fait ça cette année dans une campagne qui invite à ne pas utiliser sa voiture tout le temps, même si elle est hybride. Ce changement de paradigme est vraiment intéressant et montre la mesure qu'ont prise certaines entreprises vis-à-vis de leur responsabilité.
C’est intéressant de voir aussi comment dans un contexte de décroissance, on tend à vouloir donner beaucoup plus de valeur aux choses. En communication sur les réseaux sociaux, cela revient par exemple à publier moins mais mieux. Une filiale du groupe EDF, Dalkia, avait d’ailleurs fait un gros nettoyage de ses comptes en supprimant des contenus obsolètes qui consomment inutilement de l’énergie (anciennes offres d’emploi, un jeu-concours terminé depuis 6 ans, des webinaires passés, etc.). Ils ont aussi créé des posts périssable avec une #DLD : Date Limite de Disponibilité.
Il y a même certains acteurs qui se lancent dans des projets complètement novateurs comme ce site de low-tech qui fonctionne à 100% grâce à l’énergie solaire. Et qui donc switche sur off de temps en temps quand la météo n’est pas clémente ! Ou ce webdesigner londonien qui a témoigné son regain de créativité en se retrouvant devant la problématique de concevoir des sites bas carbone.
Julie : Globalement, je trouve que le digital, avec le côté “reportage” et “vérité” des réseaux sociaux, permet aussi de limiter le côté greenwashing. On retrouve moins ce côté déclaratif comme en TV ou affichage auquel on ne croit pas vraiment.
Cécile : C’est sûr. Ca me fait d’ailleurs penser à la très bonne landing page de BackMarket qui a créé le DataPark, un espace dédié à la démonstration chiffrée de l’impact du reconditionnement de nos appareils numériques. Ils ont aussi un franc parlé et une liberté de ton qui permet de gagner la confiance des internautes : “c’est l’heure des comptes”, etc.
« Contrairement aux médias traditionnels, le web offre une vraie liberté de ton et surtout un espace d’expression suffisamment large pour entrer dans le détail du récit qui convient bien à une com’ RSE »
Tout ceci est vertueux finalement : en habituant les consommateurs aux discours étayés et argumentés que l’on retrouve sur le web, ils attendent désormais de la part des entreprises que leur communication suive cette tendance. Et la boucle est bouclée.
Julie : Pour conclure, on comprend bien que les marques qui ne sont pas nées avec cet ADN 100% responsable ont eu besoin d’affiner leurs connaissances et d’apprendre en marchant. Quels seraient tes meilleurs conseils pour qu’une entreprise communique correctement sur sa RSE ?
Cécile : D’abord, il faut une démarche sincère et être prêt à entendre que l’on n’est pas parfait mais que l’on a quelques clés pour changer.
Ensuite faire de son mieux en prouvant ce que l’on fait avec du concret, en montrant des chiffres, en expliquant par quel chemin on passe pour s’améliorer, etc.
Il faut aussi être ouvert aux ONG et communautés qui peuvent parfois aider et proposer des alternatives. Le pire pour une entreprise je trouve c’est de se placer en position de “sachant” parce qu’en réalité personne n’est jamais parfait. C’est d’ailleurs ce qu’a déclaré récemment le CEO de Rémy Cointreau sur Linkedin en affirmant que la route est encore longue.
Enfin, je dirais qu’il faut être cohérent entre ce que l’on dit et ce que l’on fait. Mieux vaut ne pas trop claironner que l’on prend notre RSE très au sérieux si derrière les actions ou les résultats ne sont pas encore là.
A propos de Cécile Maury
Cécile est planneuse stratégique freelance depuis 2011. Ce métier, ça vous parle ? Il consiste à extraire des constantes de tout ce que l’on voit au sein de la société (usages, codes, tendances émergentes) pour aider les entreprises à développer des produits/services/communications qui vont parler aux gens. En gros, c’est un métier d’anticipation et d’analyse qui permet de prendre de la hauteur sur un sujet pour être le plus juste et pertinent possible. Après des études de sémiologie, Cécile a commencé sa carrière dans le conseil en innovation. Elle a vécu en Angleterre puis à Hong Kong et a notamment étudié la question de l’habitat de demain. Depuis qu’elle est en freelance, elle travaille pour des agences et bureaux de style sur des questions d’innovation et de branding. Courez découvrir ses publications sur son blog : https://blog.cm-trends.com/