Quelles tendances pour la publicité digitale en 2023 ? On en parle avec Flavien Taquet, Directeur Media Planning & Marketing Impact chez Renault Group.
J’ai rencontré Flavien dans le cadre de ma contribution bénévole à la communication de Time for The Planet. Au-delà du poste occupé par ce grand pro de la com’, j’ai beaucoup apprécié sa rigueur et sa passion pour le métier en général. J’ai donc voulu avoir sa vision des enjeux de la pub’ digitale pour 2023. Et le programme est chargé ! Bonne lecture les amis.
Par Julie Arnaud
Publié le 25/01/2023
Julie : Plutôt que te demander les 3 grandes tendances qui vont émerger en 2023, pourrais-tu m’en citer 3 qui risquent de disparaître (ou que tu souhaiterais voir mourir à tout jamais !) ?
Flavien : Merci pour ce temps passé ensemble Julie ! On peut en profiter pour parler digital mais pas que si tu es d’accord. On pourrait plutôt élargir aux médias parce que pour moi le mot “digital” est un peu galvaudé. J’aimerais bien que ça fasse partie des mots qui disparaissent justement en 2023 (rires !). En effet, le digital est de partout ! Le média c’est du digital, le offline c’est du digital, l’événementiel c’est du digital. Hier j’étais avec l’équipe commerciale de Diverto, le nouveau magazine TV de la PQR. Elle me montrait des habillages en presse derrière le texte du programme TV, exactement à l’image de ce que l’on a en habillage digital mais sur du papier. Bon, je ne suis pas certain que le mot “digital” disparaisse demain mais pour moi le digital c’est devenu un peu autre chose aujourd’hui. On a des hot topics comme le web 3.0 qui me paraissent plus d’actualité.
Autre chose qui va disparaitre, ou tout du moins évoluer et se transformer, ce sont tous ces buzzwords que l’on voit beaucoup en ce moment. Des sujets comme les NFTs ou le presence marketing vont faire du bruit pendant quelques mois, voir quelques années, et puis finalement vont se transformer. Il y a beaucoup d’amalgames qui se font sur ce type de mots et ça il faudrait que ça disparaisse aussi en 2023 :-) En réalité, ces concepts vont changer de forme, de nom. Et tout ça va évoluer, évidemment.
Après, ce qu’il faudrait faire disparaitre aussi c’est toute cette manière de réfléchir en silo et en verticalité. Quand on parle digital justement, on doit décloisonner un maximum de choses car le digital est une solution pour matérialiser tout un écosystème de communication et de marketing.
Julie : Et tu ne penses pas qu’il est compliqué d’avoir un mode de fonctionnement totalement horizontal quand on travaille dans un grand groupe comme Renault ?
Flavien : Non, je ne pense pas parce qu’on trouve toujours des moyens de décloisonner et d’y arriver avec des méthodes. Maintenant si on arrive à mettre les experts en tribus autour d’une table sur des topics transverses, on y arrive ! Par exemple aujourd’hui, l’un de mes rôles est celui de la transversalité au sein de l’équipe Marketing Services & Data avec une personne qui est Actionability Manager et qui a pour mission d’aider les autres départements à déployer les choses de leurs directions.
On se rend compte que l’on a besoin de ça en fait, parce que si on reste cloisonnés, on reste entre experts et on n’arrive pas à déployer ou à vulgariser.
« En fait, à vouloir faire de la science avec des acronymes complexes on arrive à rien ! On doit pouvoir s’en débarrasser pour en faire des projets concrets et activables rapidement. »
Julie : D’ailleurs en parlant de performance, quels sont selon toi les défis pour rendre la publicité toujours plus efficace et performante ? Pour moi ils se situent plutôt du côté des contenus, mais est-ce qu’ils sont aussi du côté la data par exemple ? Qu’est-ce que l’on doit réussir à améliorer ?
Flavien : Dans le digital, il y a un moment donné où l’on doit changer notre manière de faire. Avec l’inflation et les problèmes économiques que l’on a aujourd’hui, on doit faire mieux avec moins. Et quand on se retrouve dans cette situation, nécessairement on doit revoir la manière d’opérer les choses.
« Aujourd’hui dans la publicité, la qualité prend le dessus sur la quantité, contrairement à ce que j’ai vécu moi quand j’ai commencé il y a 15-20 ans, où le volume était le maître des KPIS. »
Aujourd’hui, c’est la balance entre quantité et qualité qui est importante. Surtout, on se rend compte qu’il y a tellement de contenus, et de moyens de faire transiter ces contenus (donc de contenants), que l’on s’y perd et on perd de l’efficacité. De fait, la clé de tout ça c’est de sortir du lot avec le contenu évidemment mais aussi avec l’idée créative qui émane de tout ça et qui va faire en sorte que l’on va émerger et que l’on va être beaucoup plus efficace. Ce qui permet derrière d’obtenir un ROI beaucoup plus important.
Donc oui tu as raison, on a besoin de changer nos manières de faire et le digital est un excellent moyen pour ça ! C’est en tous cas le canal le plus simple à activer pour arriver à faire des choses créatives, simples, efficaces et adaptées aux usages.
C’est surtout le changement des usages qui nous fait changer la manière dont on doit appréhender le digital et le média au sens large. Les usages sont en train de changer beaucoup plus vite qu’il y a certaines années.
Un autre enjeu clé pour 2023 c’est d’avoir une segmentation des audiences, que l’on appelle aussi “clusterisation”, qui soit cousue main pour un Directeur Marketing.
Julie : Du coup, tu ne penses pas que le digital a beaucoup inspiré des médias plus traditionnels type TV, presse ou affichage, dans la façon dont on raconte les histoires et mettons en scène les visuels ? Je pense notamment aux campagnes de prêt-à-porter et de luxe qui s’inspirent des tendances Instagram ?
Flavien : Oui, complètement. On retrouve l’exemple que j’ai cité plus tôt avec Diverto qui reprend les codes de l’habillage de site internet sur du papier. Les codes du web ont totalement conquis les usages, et c’est normal qu’ils soient repris. Néanmoins, je ne fais pas partie de ceux qui pensent que le digital c’est l’avenir et que le reste c’est du média traditionnel (d’ailleurs je déteste le terme “média traditionnel” rires !). Beaucoup de gens pensent qu’il faut digitaliser le offline, alors qu’il faut “offlliniser” le digital. C’est un de mes confrères de SFR qui me disait ça, et je pense qu’il a raison. On a 50 ans de média offline derrière nous, on a fait énormément de belles choses et beaucoup de choses sont restées aujourd’hui.
« Evidemment il faut digitaliser ce qui est existe et s’inspirer de la nouvelle technologie, néanmoins dans la mesure de la performance cross-media, le offline a beaucoup de choses à apporter au digital et on pourrait en faire un sujet à part entière ! »
Julie : Et tu fais partie d’un groupe de travail sur la mesure cross-media à l’Union des Marques (l’ex UDA, A pour Annonceur) ?
Flavien : Oui, c’est un sujet qui me passionne ! On a un enjeu d’hybridation de la mesure entre les mass-médias traditionnels qui ont une manière de calculer la performance de manière différente et peu adaptée aux autres leviers. La France est d’ailleurs l’un des pays les plus avancé sur la mesure publicitaire !
Julie : Est-ce que tu crois encore à l’efficacité des bannières qui pop-up dans tous les sens et des grands habillages média ? Je me pose la question de la valeur des clics sur ces espaces publicitaires. Sont-ils intentionnels et “valuable” comme on dit ?
Flavien : Alors, la question c’est qu’en digital, tout dépend de quel touchpoint on parle. Quand on regarde le funnel, c’est-à-dire le tunnel d’achat d’un internaute lambda, et qu’on le vulgarise, on a : 1/ L’awareness, 2/ La considération, 3/ La lead generation, 4/ L’achat, 5/ La fidélisation (CRM). Le digital aujourd’hui intègre les touchpoints de tous ces niveaux là. Et ce qui est important, c’est de voir quel est le besoin derrière. Quand on veut faire de l’awareness et que l’on veut faire connaître son produit, évidemment qu’un habillage ça peut toujours avoir de l’impact parce que le point de contact est fort. On ne va pas nécessairement chercher du clic, même si on va le mesurer. Ce que l’on va chercher c’est une exposition publicitaire.
Concernant les bannières, en réalité il y a différents formats qu’il faut choisir par action et par besoin. Quand on veut éviter d’être trop intrusif on va faire du native ads (ndlr : de la publicité intégrée dans le contenu de façon éditorialisée). Quand on veut faire de la lead generation, on va être là avec un prix / un produit / une bannière qui va peut-être déranger, mais qui finalement va capter de l’attention.
Je donne un exemple concret : quand j’étais côté France chez Renault, on faisait ce que l’on appelle de l’interception sur leboncoin. On vendait un véhicule Dacia neuf et on affichait la bannière aux internautes qui cherchaient un véhicule d’occasion du même prix. C’est ce que l’on appelle l’interception, c’est-à-dire que l’on dit : “Tu peux acheter un véhicule neuf au même prix que le véhicule d’occasion que tu es en train de regarder”. Bon, aujourd'hui ce n'est peut-être plus très responsable d'un point de vue environnemental mais tu vois l’idée.
Julie : Donc on en revient à la question du contenu et de la créa évoqués plus tôt…
Flavien : Cela va même au-delà du contenu ! C’est-à-dire qu’il faut arriver avec le bon message, au bon moment, à la bonne personne, etc. Ce qui ne date pas d’hier ! Mais finalement on en revient toujours au fait d’adapter son contenu à l’endroit où l’on se trouve dans le funnel et au but que l’on a derrière. Parce que l’on va recapter l’internaute dans la suite de son parcours web.
Donc, en réalité, il faut être présent avec les bons contenus à chaque touchpoints du parcours pour accompagner l’internaute en bout de ligne. C’est un point extrêmement important, qui concerne d’ailleurs tous les secteurs d’activité.
« Sur la question du côté intrusif, effectivement les campagnes les plus performantes et les plus impactantes ne sont pas forcément les plus intrusives. Il faut trouver le bon équilibre pour qu’elles soient acceptables, cliquées et qu’elles aient un engagement fort. »
Maintenant il existe aussi d’autres moyens de communiquer de façon moins intrusive et avec beaucoup plus d’intérêt pour certaines cibles.
Julie : Justement, je voulais aborder la question de l’influence. Est-ce que tu considères ces relais comme des supports publicitaires ? Quelle place les influenceurs ont-ils dans ton classement de la puissance média ?
Flavien : Alors pour moi l’influence est protéiforme. En réalité il y a plusieurs types d’influence : il y a de l’influence déclarée et visible, il y a de l’influence moins claire et plutôt invisible, il y a de l’influence à travers du gaming, il y a de l’influence à travers des personnalités que l’on va suivre, etc. Ce que je veux dire c’est que par définition, on ne peut pas classer l’influence par rapport aux autres leviers publicitaires. C’est qui est sûr, c’est que le bouche à oreille, et ce qui peut transiter à travers quelqu’un, c’est le plus fort. Cela a toujours été le plus fort parce que l’on aura toujours besoin du conseil d’un ami ou d’une personne que l’on connaît pour passer le cap d’un achat.
Julie : Oui, c’est ce que l’on voit avec l’essor des avis qui restent décisifs pour les achats lourds notamment…
Flavien : Tout à fait. Donc évidemment aujourd’hui l’influence est dans le top des leviers pour transformer. Après, ce qui est très important dans l’influence c’est l’UGC (ndlr : User Generated Content, càd ce qui est produit par des internautes ou des créateurs), qui a atteint en 10 ans une maturité extrêmement forte notamment avec TikTok et les Reels Instagram. Les marques ont compris qu’il fallait laisser la main et la créativité aux influenceurs pour justement engager davantage et faire aimer. Mais cela reste très difficile.
Donc oui, l’influence est devenu un levier publicitaire à part entière mais derrière l’important c’est d’embarquer des tribus et des catégories de followers qui vont apprécier une marque à travers quelqu’un. Plus l’influence sera réelle / sincère / vraie, plus elle sera performante en termes de ROI pour la marque.
En gros, il ne faut pas qu’un influenceur accepte un contrat avec une marque s’il ne l’apprécie pas ou s’il ne la connait pas.
Julie : Je suis d’accord avec toi. Il fait à tout prix éviter l’effet “home sandwich” ou display qui manque clairement de subtilité et qui a plutôt tendance à polluer nos feeds je trouve…
Flavien : Oui c’est sûr. Surtout que l’enjeu derrière l’influence c’est ce que l’on appelle le earned media value, donc ce que la marque a réussi à engager avec ses communautés. On peut considérer l’influence comme un média on top à partir du moment où l’on peut mesurer ce earned media. Au même titre que les autres leviers on et offline.
Julie : Est-ce que tu aurais justement des outils de mesure de l’influence à conseiller ?
Flavien : Et bien justement hier, j’ai vu quelques données qui sortaient de Talkwalker qui est un outil intéressant là-dessus. Chez Renault Group, on utilise pas mal Sprinklr et Brandwatch comme outils social media et social listening. Après, on a plutôt des combo, c’est-à-dire des outils qui nous permettent de faire du care, du listening, de l’influence, etc. Des outils comme Kolsquare sont souvent directement gérés par nos agences partenaires qui vont piloter la donnée pour l’intégrer à des reportings.
Julie : Je voulais aussi aborder le sujet de la publicité solidaire. Nous avons récemment collaboré avec Goodeed sur un projet de carte de voeux solidaire. Ces acteurs proposent des solutions média pour récolter des dons auprès des entreprises et financer des projets à impact positif. Est-ce que tu prends ce sujet au sérieux ? Est-ce que c'est dans ta roadmap 2023 ?
Flavien : Alors il y a plusieurs sujets dans le sujet. Effectivement c’est un sujet que je prends très au sérieux et que j’ai pris d’ailleurs cette année dans mes missions. On a aussi créé une taskforce CSR (ndlr : Corporate Social Responsibility) dans le service dans lequel je suis. Le premier sujet pour nous c’est la mesure de l’impact carbone de ce que l’on fait en publicité. Et ça, Goodeed pas Goodeed, le plus important c’est d’abord de savoir ce que l’on fait nous.
Là on est en train de travailler notamment à rencontrer des acteurs qui nous permettent de mesurer ce que l’on fait sur le digital mais pas que. On travaille par exemple avec Publicis sur l’impact carbone de nos campagnes TV. Ces enjeux de mesure sont majeurs pour 2023 et très structurants pour savoir où l’on va.
Après des solutions comme Goodeed, il y en a énormément. Goodeed a été pionnier de mémoire. Mais depuis, beaucoup de solutions, notamment dans la tech, se disent green et finalement utilisent les codes du green pour justifier le fait qu’ils font de l’optimisation marketing. Il faut faire très attention au greenwashing car il y en beaucoup qui commencent à surfer sur la vague.
Donc oui, il faut prendre le temps d’intégrer toutes ces notions dans nos métiers, qu’ils soient marketing ou ailleurs. Il faut juste bien prendre le temps de rencontrer ces partenaires solidaires avant d’engager des partenariats ou en tous cas des actions solidaires et responsables pour faire changer les choses de notre côté.
Julie : Flavien, on arrive à la fin de cette interview ! Pour la dernière question, tu as 2 sujets au choix : le 1er c’est “La publicité dans le métavers, on en pense quoi ?” Le 2eme c’est la question que tu aurais voulu que je te pose mais que je ne t’ai pas posée :)
Flavien : Alors on parle beaucoup du métavers chez Renault, c’est un point stratégique chez nous. Notamment le métavers au sens industriel du terme. On fait pas mal de choses en VR et dans le métavers puisque l’on forme des peintres à un usage virtuel de la peinture pour faire des économies. Donc le métavers peut aussi être vu comme quelque chose de moins problématique par rapport au CO2. Quand on forme un peintre à peindre une carrosserie avec une peinture virtuelle, tu peux te douter que c’est très positif pour l’environnement. Donc du point de vue industriel, on fait pas mal de choses côté Renault, il y a de gros chantiers en cours.
« Concernant la publicité dans le métavers, on n’a pas été dedans comme Décathlon ou Carrefour l’ont fait. Mon avis personnel est assez clair là-dessus : il faut l’adapter à des usages pour l’entreprise avant le consommateur final »
On verra demain si ça devient une norme qui va au-delà des early adopters qui l’utilise à des fins personnelles. On a fait pas mal de choses avec Facebook l’année dernière sur le sujet. Mais pour l’instant on n’est pas rentré dans quelque chose de très populaire, et tant que c’est pas le cas, les moyens ne seront pas très importants. Sur la publicité, je le ferai plutôt de manière très tactique en tous cas.
Je crois beaucoup en revanche à l’intelligence artificielle pour créer des avancées assez grandes. Je pense notamment au chatbot comme ChatGPT ou DALL-E pour la création d’oeuvres numériques intelligentes.
Pour la 2ème question, écoute je crois que tu m’as posé déjà pas mal de questions intéressantes ! Il y a peut-être un point que j’aurais aimé évoquer, c’est celui de l’économétrie avec ce que l’on appelle le MMM, le Marketing Mix Modeling. Tu l’auras compris, ce qui m’intéresse c’est la mesure de ce que l’on fait en marketing. C’est un sujet qui revient au goût du jour parce que le cookie va disparaître et qu’il y a des nouveaux moyens à mettre en place. Donc on en revient à ce qui existait dans le temps et ça fonctionne plutôt bien !
On pourra en discuter à une prochaine occasion…
Merci Julie ! :-)
A propos de Flavien Taquet
Comment vous dire… Flavien a le CV type du passionné : il a démarré sa carrière en agence média chez Carat puis KR Media et OMD notamment. La mesure de la performance marketing et le media planning sont sa spécialité. Certain•es l’ont peut-être déjà croisé sur les bancs des grandes écoles puisqu’il intervient régulièrement à la Sorbonne et l’ESSEC. Il a rejoint le groupe Renault il y a 7 ans et a reçu plusieurs distinctions en data media strategy, brand content et social media.