Peut-on conjuguer agence de com’ et bien-être au travail ?

Par Léa Belet
Publié le 29/09/2023

Anne Boistard, créatrice du compte instagram Balance ton Agency et Julie Arnaud, cofondatrice de l’agence digitale hybride la bise, nous racontent leurs parcours et leurs expériences de femmes qui ont grandi en agence de com avant de… les quitter.

Définitivement ?

L’une dénonce la toxicité du harcèlement dans certaines agences, l’autre a co-fondé la sienne sur un modèle unique.

Dans cet article, on parle systémisme, ergonomie du changement, mutations de nos métiers, en s’appuyant sur les témoignages d’un panel représentatif de freelances qui font partie du réseau la bise. Zé partiii.

Pour celleux qui préfèrent la vidéo, la version intégrale de l’entretien est à retrouver en bas de cet article

Portrait croisé de 2 femmes qui veulent insuffler une nouvelle colorimétrie à la com’ 

La connexion entre Anne et Julie tombait sous le sens. Enfants de la pub, elles ont fait leurs armes dans de grosses agences pendant une dizaine d’années avant d’embrasser le statut de freelance pour créer chacune à leur manière une structure différenciante avec la volonté commune de ne pas reproduire des schémas de management toxique intrinsèque à leurs trajectoires professionnelles. 

Le départ d’Anne a moins été un choix que celui de Julie. Il en advenait de sa santé: “J’étais limite en danger de mort (...) à penser mettre fin à mes jours”.

En cause, LA maladie professionnelle numéro 1: le burn out. Comme beaucoup en vivent et qui, contrairement aux idées reçues, s’étend sur la durée (entre 2 mois et 2 ans en moyenne).

Un niveau de pression colossal, une charge de travail impossible à réaliser, un manque d’écoute et de reconnaissance qui entraînent insidieusement une descente aux enfers. Celle qui annihile le corps et l’esprit et nécessite une prise en charge thérapeutique pour retrouver confiance.  

Au sortir de cette douloureuse épreuve, le besoin de partager et de se positionner comme actrice du changement s’est fait sentir.

Balance ton Agency prend naissance du désir profond “de faire bouger les lignes de ce milieu”

Aujourd’hui, fort de ses 300 000 abonnés, le compte agit à la fois en prévention pour étudiants et pros mais également en épée de damoclès pour les agences qui doivent nouvellement considérer cet espace public à grande résonance dans le secteur. 

Julie, quant à elle, a essuyé les plâtres d’un management toxique essentiellement mené par des hommes lors de son dernier passage en agence. Engagée pour driver le pôle social média d’une agence corporate, elle s’est faite enfermer dans un rôle de “secrétaire du directeur commercial” en désaccord total avec sa mission initiale. 

D’ores et déjà animée par l’idée de créer un collectif de freelances, elle s’associe à un ancien collègue DA/UX/UI, Julien Marcel, avec la ferme intention de créer une structure centrée sur les réels besoins des clients à travers une équipe exclusivement composée d’experts indépendants. 

Concevoir un nouveau modèle d’agence de communication

Ainsi naît la bise en 2017, une agence de communication digitale basée sur le concept unique du co-freelancing.

“On a joué le jeu jusqu’au bout en déposant le concept de co-freelancing à l’INPI !” indique fièrement Julie.

La principale différence avec les agences traditionnelles réside dans le fait de “revendiquer de travailler avec des freelances”, et non de les utiliser pour pallier certains manques ou respecter des deadlines inatteignables.

Ici, les équipes opérationnelles sont constituées sur la base de leurs compétences et de leur disponibilité.

Pilotées par la bise, elles ne sont pas confrontées seules face au client. Tout le monde bénéficie d’un référent de confiance (freelances comme clients), en charge du conseil et de la stratégie. Les freelances qui travaillent avec la bise peuvent également louer un bureau au sein des locaux parisiens. Un moyen de rompre avec l’isolement ressenti par de nombreux•ses indépendant•es, et de cultiver un contact physique cher à l’agence

L’autre avantage : savoir exactement quelle charge de travail et quel chiffre d’affaire reposent sur chaque membre de l’équipe. Un moyen de ne pas avoir de pression salariale qui pousse souvent à devoir tout accepter, pour la survie de l’agence. Balance ton Agency a dénoncé des pratiques qui ont tourné au vinaigre parce que des agences n’ont pas réussi à s’imposer de limites. Une tâche loin d’être facile, qui a pu rendre le comportement de certain•es dirigeant•es très limite.

La communication est aussi un secteur avec des règles particulières, comme celle de répondre à des compétitions non rémunérées qui mobilisent parfois plusieurs salariés pendant plusieurs semaines.

Un mode de fonctionnement proposé historiquement par les agences de publicité elles-mêmes. Mais qui peine à s’imposer dans un contexte où les budgets de communication ne sont plus les mêmes. Et sur un marché qui n’est plus détenu par quelques géants de la pub.

En gros, la fête est finie.

la bise est un modèle d’agence hybride rendu possible grâce à la fuite de talents - parfois lessivés - en freelance.

La montée du freelancing : enquête & analyse auprès du réseau la bise

Tool Advisor nous apprend notamment qu’en 15 ans, le nombre de freelances a fait un jump de 92 %, que notre domaine fait partie des premiers concernés, et que 90 % des travailleurs freelance le font par choix… 

L’occasion parfaite pour lancer une étude auprès de notre réseau de freelances et interroger un panel représentatif sur leur rapport à ce statut et à ce que ça implique concrètement. Nous avons recueillis les retours de DA, chargé•es de production, directeur•rices de création, chef.fe.s de projets ou encore social media managers. 

1- Lorsqu’on les questionne sur leur motivation à être passé en freelance, ce qui transparaît majoritairement (à hauteur de 55 %) c’est la notion de liberté.

“J’ai choisi le FREE de freelance.” Marie-Amélie, directrice de création freelance.

La liberté d’organiser son temps de travail. La liberté d’expression et de création. La liberté de choisir d’où l’on travaille. 

On retrouve juste après de mauvaises expériences en agence fondées sur du harcèlement moral, de la non considération de la santé mentale, des conditions de travail éreintantes et non reconnues tant professionnellement que financièrement. La volonté étant ici de mieux gagner sa vie et d’évoluer dans un environnement où le respect est le rudiment de toute collaboration. 

Dans de nombreux cas, d’ancien•nes salarié•es ont été approché•es par des annonceurs pour rejoindre leur projet. Pour 25 % des sondé.e.s, la multiplicité de ces tentatives à finalement cristallisé le démarrage de leur activité de freelance. 

Pour 12 %, c’est la diversification des projets qui été la principale source de motivation. Un moyen de maximiser la recherche créative et permettre un challenge grandissant.

Et puis il y a ceux pour lesquels le destin a un peu forcé le game. Des licenciements économiques ont suscité l’envie de tester ce statut.

2- Ce que le statut de freelance change dans le rapport au client

Pour 55 % des répondants, c’est à nouveau la notion de liberté qui arrive en tête à travers l’amoindrissement d’intermédiaires et donc la possibilité d’avoir un propos plus direct et plus clair, mais aussi d’être plus convaincant dans la présentation de son travail ainsi que de pouvoir instaurer un climat de confiance sincère, une forme de connivence avec son client.

On peut aussi mettre fin à un contrat s’il ne se déroule pas dans les règles envisagées. 

Le pragmatisme dans le mode de collaboration et le détachement d’une culture d’entreprise constituent ensuite un nombre de retours important: avancer dans la même direction de manière saine et sereine sans que les projets ne se réalisent au détriment d’une trop importante charge de travail ou d’objectifs définis.

15 % des freelances évoquent ensuite la sacro - sainte formule du WIN - WIN puisque apprécié.e.s comme des prestataires de services. La terminologie “services” prédomine ici permettant de s’éloigner du travail de petite main perçu la plupart du temps en agence. 

Enfin, on finit par retrouver le fait d’être missionné.e sur un projet pour son expertise spécifique et sa vision générale. 

3- Ce qui devrait changer en agence pour améliorer les conditions de travail

[ La question à 1 million ]

SPOILER ALERT, les réponses font consensus. 

En tête à plus de 70 %, c’est la communication entre les managers et les équipes, la considération et l’écoute de ses salariés qui sont majoritairement épinglées. Certains vont jusqu’à qualifier les directions de “bourreaux” demandant un respect du code du travail tel qu’il a été établi, et une remise en question de la rentabilité et de la suprématie égotique ainsi qu’un équilibre entre vie perso et pro. 

Ensuite sont abordées les notions d’ergonomie du travail comprenant la mise à disposition d’un espace calme et agréable propice à la concentration, une meilleure gestion des clients qui passerait par l’éducation, l’augmentation des salaires, une réduction du nombre d’intermédiaires et du temps passé en réunion… 

Enfin, les pistes d’amélioration proposées par les sondé.e.s concernent l’esprit de compétition infligé quotidiennement et les promotions qui mériteraient d’être méritocratiques et non politiques. 

4- Dans ce contexte, est-ce que les freelances de notre réseau seraient prêt à revenir en agence ?

Ici encore, le retour est édifiant.

Pour 75 %, ce n’est pas envisageable, ou si ça le redevient, cela ne sera pas intentionnel. Certain.e.s pourraient examiner cette option par nécessité dans le cadre par exemple d’un projet de famille ou d’achat immobilier. 

Le monde du travail a connu une mutation grandiloquente au sortir des confinements, ce qui a redistribué un certain nombre de cartes pour les travailleurs salariés et indépendants. Le côté aléatoire du freelance peut être vécu comme anxiogène, précaire et difficile à aligner avec une vie de couple ou vie de famille, mais la liberté qu’il octroie est difficilement conciliable avec un retour en arrière. 

Ainsi à travers les parcours d’Anne Boistard et Julie Arnaud, tout comme les témoignages d’un réseau de freelances sur l’ergonomie globale de leur situation, nous avons voulu mettre le doigt sur des préceptes solutionnels qui mériteraient d’être étudiés comme de nouveaux modèles d’agences ou des espaces d’échanges qui permettent de dénoncer et de repenser.

De nombreuses pistes demeurent inexploitées et nous avons à cœur de créer un débat ouvert où le profit ne serait plus roi. 

Retrouvez l’intégralité de l’échange vidéo avec Anne Boistard et Julie Arnaud sur la chaine Youtube de l’agence 🫶


A propos de Léa BELET

Jongler avec les mots, voilà le métier de rêve de Léa. Passée par le service communication du Cirque d’hiver et dans les bureaux d’agences parisiennes (Hopscotch, Havas, Les barbus), elle s’est très rapidement positionnée sur l’art de raconter les (vraies) histoires. Boulimique des interactions humaines et de leur résonance, elle a tout naturellement été attirée par le nom de notre agence (tout comme par son contenu) en tant que conceptrice-rédactrice freelance.

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